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La presse, l'Etat et le tradipraticien

by Jérôme Carlos | 15 Oct 2007

Jérôme Carlos, Enseignant, Historien et Journaliste, Radio de proximité CAPP - FM (Bénin)

« J'accuse ! » Ce fut par cette affirmation forte que Emile Zola, après s'être tressé des palmes littéraires, avait eu à connaître la notoriété politique avec l'affaire Dreyfus. C'est la même affirmation que nous empruntons pour demander, voire pour exiger des explications à qui de droit après le passage du thérapeute Philibert Dossou-Yovo sur l'émission « Ma part de vérité ». C'était le dimanche 2 septembre 2007 sur Golf Télévision.

L'invité du jour rendait compte de dix-huit ans de recherche pour donner ses lettres de noblesse à la médecine traditionnelle : ses découvertes en maints domaines, ses traitements pour guérir de certaines maladies, en particulier ses approches sur le sida et la drépanocytose, deux maladies graves qui font de grands dégâts et qui défient nos intelligences.

   En deux heures d'horloge, Philibert Dossou-Yovo, aura dit et aura martelé, avec beaucoup de conviction et de certitude, ce que nous ne savons que trop à savoir qu'avec nos plantes médicinales, la nature nous a doté d'un potentiel d'action incomparable, d'un pouvoir de guérison sans pareil. Encore faut-il le savoir, tirer le meilleur profit de ce potentiel et de ce pouvoir, dans un contexte hautement concurrentiel, dominé et régi par des systèmes prétendument modernes, mais sûrement prédateurs et conquérants qui se disputent l'hégémonie du monde.

   Du reste, à en croire Philibert Dossou-Yovo, et compte tenu des enjeux actuels qui portent sur des milliards de dollars ou d'euro, se pose un grave problème de sécurité pour tous ceux qui, par leurs recherches, font des pas décisifs vers le traitement, voire la guérison de certaines maladies, à moins d'être ou de se mettre sous la coupe des systèmes capitalistiques internationaux qui contrôlent les circuits mondiaux du médicament. On aura ainsi compris que notre compatriote, qui se présente publiquement à nous comme ayant à son actif des découvertes qu'il tient pour essentielles sur le sida et la drépanocytose, a déjà échappé à plusieurs tentatives d'assassinats.

   Alors, revenons à Emile Zola pour lancer, à notre tour, un solennel, un sonore et colérique « J'accuse » contre ceux qui, comme nous, ont suivi Philibert Dossou-Yovo à la télévision mais qui jusqu'ici, aussi curieux que cela puisse paraître, n'ont pas eu la réaction logiquement souhaitée, n'ont pas encore pris les initiatives raisonnablement attendues d'eux.
De deux choses l'une. Soit, selon notre conviction, notre compatriote est un savant et un vrai, un savant dont nous avons des raisons d'être fiers et nous décidons de le soutenir, de l'encourager, d'accompagner ses efforts de recherche. Soit, selon notre sentiment, nous avons affaire à un hâbleur, à un imposteur et nous décidons de l'ignorer.

   Par rapport à quoi, nous accusons, d'une part la presse nationale qui a fait du passage de Philibert Dossou-Yovo sur Golf Télévision un non évènement. Pour une presse que nous savons friande de scoops, d'informations inédites, voire sensationnelles, avouons que c'est étonnant. Et pourtant, ils ne courent pas les rues, ceux qui dans le monde peuvent affirmer, aujourd'hui, urbi et orbi, qu'ils sont proches d'une solution définitive contre le sida. Philibert Dossou-Yovo estime, lui, qu'il y est, qu'il a passé la ligne d'arrivée. En principe, le fait qu'un Africain, un Béninois qui plus est, balance un si gros pavé dans la mare des débats en cours sur le sida dans le monde ne peut nous laisser indifférents, ne doit nous laisser sans réaction.
Et si, en lieu et place de Philibert Dossou-Yovo, nous avions plutôt affaire à un éminent professeur agrégé de l'université, blanc de surcroît, chercheur émérite et membre en vue de plusieurs académies internationales et sociétés savantes, la presse nationale aurait-elle affiché la même apathie, le même désintérêt, le même détachement ? La question mérite d'être posée, quand on connaît notre inclination à ne savoir donner de la valeur et du prix qu'à tout ce qui nous vient des autres et de l'étranger.

    Par rapport à quoi, nous accusons, d'autre part, nos autorités nationales, de n'avoir pas eu la réaction idoine à la suite de la prestation télévisée de Philibert Dossou-Yovo. Si nos autorités ne croyaient pas un traître mot des propos de Philibert Dossou-Yovo, elles devraient ou auraient dû prendre des mesures conservatoires qui s'imposent pour que celui-ci nuise le moins possible à l'environnement humain. Mais si au contraire, elles détenaient la preuve qu'on a affaire à des recherches sérieuses portant la signature d'un authentique savant, elles devraient ou auraient dû se montrer plus entreprenantes pour faire connaître ces résultats de ces recherches : certification au titre de la propriété intellectuelle, reconnaissance internationale, demande à concourir pour certains grands prix. Et pourquoi pas le Nobel par exemple ?

    En l'absence de toute réaction officielle, c'est plutôt le silence de la haute autorité qu'est l'Etat, à travers ses diverses instances politiques, administratives et techniques, qui fait problème. Comment interpréter ce silence ? Quel sens lui donner ? Nous avons le choix entre plusieurs formes de silence. Le silence prudence illustré par le proverbe que voici : « Le silence est plus éloquent que n'importe quelle réponse. Outre qu'il nous honore, il nous fait l'économie d'une dispute » Le silence indifférence, tel que articulé dans l'expression familière de «Cause toujours, tu m'intéresses » pour dire « Tu peux parler, je ne t'écoute pas. ». Enfin, le silence mépris comme le comprend Rivarol qui a dit que « Le mépris doit être le plus silencieux de nos sentiments. ». Alors, de quel silence parlons-nous pour dire à Philibert Dossou-Yovo ce qu'il mérite d'entendre et de comprendre ?

Note de l'éditeur : Cet article nous interpelle tous !

 

Author: Jérôme Carlos