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La souveraineté alimentaire et l'accord de partenariat économique (2)

by GRAIN | 17 Jun 2007

Deux sujets d’actualité relatifs a l’agriculture durable en Afrique

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Entretien avec Mamadou GOITA (Suite et fin)

Tout ça est très important pour un pays comme le Mali, où plus de 80% de la population vit dans les zones rurales. Presque toute la population vit de la terre, de l’élevage, de la pêche, des cultures, etc. Et plus de 97% de ces agriculteurs sont des petits paysans. C’est pourquoi il est très important d’être très clair sur le type d’agriculture que nous défendons. Est-ce que nous parlons de production à petite échelle ou de production industrielle ? Si c’est la seconde, nous excluons presque toute la population. Le deuxième critère est : pour qui produisons-nous ? Est-ce que nous produisons pour l’exportation ? C’est ce qui se passe dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. Les agriculteurs produisent des cultures de rente pour avoir de l’argent dans leurs poches et personne ne se soucie de produire de la nourriture pour la population locale. Prenez le Bénin, le Burkina Faso, même le Tchad. Dans ces pays, la culture la mieux organisée est celle du coton. Les décideurs ne mettent pas d’argent dans les denrées alimentaires de base comme le maïs, le sorgho ou le mil. C’est le choix qu’ils ont fait et ce choix va à l'encontre de la souveraineté alimentaire. Il ne donne pas la priorité à l’alimentation, mais à l’argent.

Est-ce différent au Mali ?

Au Mali, c’était comme ça, mais nous sommes en train d’obtenir du gouvernement que cela change. Maintenant notre politique est de plus en plus menée par les organisations paysannes. C’est un processus et nous pouvons dialoguer. Parfois le gouvernement fait ce que nous demandons mais parfois il refuse. Si le gouvernement agit mal, nous le dénonçons. Mais si le gouvernement agit bien, nous le soutenons. Petit à petit le gouvernement commence à comprendre qu’il est important d’écouter ce que nous avons à dire. En ce sens notre processus démocratique est une réussite. Mais ce n’est pas suffisant, car ce processus doit être renforcé, mais au moins nous avons fait des progrès. Notre carte maîtresse est de dire au gouvernement qu’il ne peut pas construire une politique agricole réussie sans y impliquer les agriculteurs.

Est-ce que les agriculteurs sont bien organisés ?

Oui. La Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) est forte. Elle est composée de toutes les principales organisations paysannes du pays et il y a quelques personnes, comme moi, qui fournissent un soutien technique, des analyses et de la formation. Cela permet au CNOP de débattre avec le gouvernement en étant informé et de présenter des propositions concrètes. Ainsi, de temps en temps, le gouvernement dit : « D’accord, dites-nous ce que vous voulez faire, avec quelle méthodologie. » Nous aidons alors la coordination à développer sa méthodologie, en particulier pour obtenir que les questions soient débattues dans le pays. Nous avons procédé ainsi concernant la récente loi d’orientation politique sur l’agriculture. Nous avons organisé des débats partout dans le pays sur les questions de propriété des terres, de recherche agricole, d’investissement rural, de mécanismes de crédit pour les zones rurales, etc. Les gens ont débattu de tout à la base. Toutes les idées qui sont ressorties du débat ont été portées au niveau régional. Nous avons huit régions au Mali. Et ensuite les questions ont été portées au niveau national et ont été débattues avec d’autres groupes de la société civile. Nous avons alors préparé le premier projet de la nouvelle loi et un mémorandum pour les agriculteurs. Nous avons mis dans ce mémorandum les points principaux que nous voulions défendre dans la loi, et c’est comme ça que la question de la souveraineté alimentaire a été soulevée. Il a été décidé que la souveraineté alimentaire serait le principe fondamental de notre politique agricole. J’ai animé l’atelier qui a pris cette décision.

Nous avons donné le document que nous avions préparé au gouvernement mais nous n’en sommes pas restés là. Nous avions des alliés à l’assemblée nationale, qui surveillaient ce qui se passait. Et en fait, le gouvernement n’a pas présenté à l’assemblée le document que nous leur avions donné. Ils en avaient enlevé des éléments et ajouté d'autres. Quelques députés sont venus à la CNOP, ils ont demandé le document original et l’ont comparé avec le projet de loi que le gouvernement avait présenté, celui que nous appelons la copie « génétiquement modifiée » de notre document. En trois jours, ils ont trouvé plus de trois cents modifications. Ils ont rétabli la version originale et c’est ce document qui a été débattu à l’assemblée. Lorsque le projet de loi a été mis au vote mi-2006, plus de 100 représentants des agriculteurs de différentes régions sont venus à l’assemblée, et le projet de loi a été approuvé. Maintenant nous travaillons sur la mise en application de la nouvelle loi.

Pourquoi a-t-il été décidé d'organiser la conférence sur la souveraineté alimentaire au Mali ?

La décision a été prise au niveau international. Il y avait plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est la première fois qu’un pays a décidé de mettre la souveraineté alimentaire au centre de sa politique agricole. Les décideurs politiques se sont engagés à le faire. Nous avons montré que le dialogue est possible. Les gens disent qu’ils veulent venir voir au Mali comment nous y sommes parvenus. Deuxièmement, le Mali est un endroit important pour discuter du coton Bt, parce que la résistance est présente dans ce pays. De tous les pays d’Afrique de l’Ouest, le principal mouvement de résistance est ici et, à un degré moindre, au Bénin. Le Mali fait pression sur le gouvernement pour qu’il prenne position contre les OGM et c’est au Mali que nous avons organisé le premier tribunal international pour que les partisans et les opposants aux OGM débattent. Nous avons aussi organisé le Forum social mondial, qui a accueilli 21 000 personnes. Nous sommes donc capables d’accueillir des rassemblements, et d’ailleurs Nyéléni sera bien plus petit.

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Entretien avec Ndiogou FALL

Ndiogou Fall est président du Comité Exécutif du ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest– http://www.roppa.info), la principale organisation faîtière pour les paysans d’Afrique de l’Ouest. Nous donnons ici le résumé d’un entretien plus long (non publié) sur le ROPPA et quelques-unes de ses idées politiques.

Parlez-nous un peu du ROPPA

Le ROPPA a été fondé en 2000, mais les paysans de cette région étaient déjà bien organisés. La grande sécheresse des années 70 a été un vrai choc : elle nous a montré la nécessité d’être solidaires et que cela dépendait seulement de notre capacité à nous organiser. Ce qui nous a amenés à la création d’associations paysannes au niveau national, et c’est de cette manière que nous avons constitué le ROPPA au niveau sous-régional.

Qu’est-ce qui vous a amenés à créer le ROPPA ?

Deux raisons. Premièrement, le processus d’intégration régionale incluant l’agriculture gagnait du terrain et les négociations internationales étaient en cours. Nous favorisons l’intégration régionale, tout particulièrement celle qui protége nos intérêts. Nous étions bien conscients de devoir nous rassembler en une organisation régionale qui servirait d’interface. Deuxièmement, nous savions que toutes les organisations paysannes de la région avaient les mêmes objectifs, et qu’en outre les échanges d’expériences et une solidarité croissante seraient très bénéfiques pour nous.

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Author: GRAIN
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