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La première souveraineté est-elle militaire ou alimentaire ? (Suite et fin)

by Abdoulaye TAO | 25 Jul 2006

Question du Président d’honneur du ROPPA aux chefs d’Etat

(Source : abc Burkina N° 186)

Mamadou Cissoko est le président d’honneur du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Il était de passage à Ouagadougou le 11 mai dernier, dans le cadre de la préparation d’un forum ouest - africain qui mettra face à face les paysans et décideurs, autour de l’avenir de l’agriculture originale face aux incertitudes des accords de l’OMC et des APE. Il donne ici la vision des paysans africains.

(Première partie) (Suite et fin)

Nous voulons partager toutes ces questions avec nos responsables, avec la presse qui ne va pas toujours au fond des choses. Notre avenir est menacé.

C’est pour cela que le Burkina doit continuer à faire du coton, du très bon mais il ne doit pas oublier le riz local, le sorgho et le maïs, etc. qui font partie de nos valeurs culturelles alimentaires.

Ces cultures que vous citez ne rapportent pas grand-chose aux paysans monétairement parlant par rapport au coton...

Qui a fait que le producteur s’attache au coton ? Ce sont les Etats qui ont négocié des programmes et des zones cotonnières. On y a construit des pistes, mis en place des programmes d’alphabétisation et des caisses d’épargne. Tout ce qui est nécessaire pour que les paysans fassent du coton a été mis en place avec les bailleurs de fonds. L’a-t-on fait pour le maïs et le sorgho ?

Savez-vous qu’en 2004, au sein de la CEDEAO, on a consommé 9 millions de tonnes de riz blanc ? Mais on en a produit que 4,5 millions de tonnes. Il n’y a jamais eu une année où tous les pays sont excédentaires ; on peut donc créer un marché et le réguler. C’est valable pour le mil et le sorgho. De Cotonou à Abuja, jusqu’à Bamako les gens consomment le mil pour la pâte de tô. Il y a des zones déficitaires et excédentaires. Mais dès que tu veux transporter des tonnes de céréales d’un point à l’autre de la zone, c’est comme si tu faisais du trafic d’armes, tant on te crée des problèmes. Nous voulons interpeller les chefs d’Etat sur tous ces aspects.

Ce forum peut-il vraiment faire bouger les choses ? Qu’est-ce qui sera différent des autres forums ? On en organise beaucoup, vous ne trouvez pas ?

Les Africains n’organisent pas beaucoup de forums, on leur fait organiser beaucoup de forums. Votre journal pourrait essayer de vérifier sur le total de forums organisés en 2005 au Burkina, combien sont vraiment d’initiative locale avec des fonds et des priorités burkinabè ?

La première différence ici, ce sont des paysans qui ont interpellé le président de la CEDEAO sur leurs conditions de vie et leur avenir. Il y a des politiques agricoles régionales qui se mettent timidement en place alors qu’il y a urgence.

Deuxièmement, ce sont des paysans qui veulent parler avec leurs élus parce que parmi les électeurs, nous sommes majoritaires et nous leur avons accordé notre confiance et nous voulons parler de choses qui nous concernent et les concernent.

Troisièmement, nous avons souhaité que les ministres de l’Agriculture et du Commerce soient présents pour qu’on parle de notre affaire. On parle toujours du ministre de l’Agriculture alors que ce n’est pas toujours lui qui négocie.

Au ROPPA, nous avons réfléchi. Le problème n’est pas technique, même pas financier. Tout le monde nous dit que l’agriculture est une priorité, qu’elle constitue 45% du PIB, nous voulons désormais que cela se voie dans les dépenses de l’Etat, en matière d’investissement au village, pour rendre la vie du paysan agréable.

Vous avez alors des propositions à faire ? Et qu’est-ce qui vous dit que cette fois les chefs d’Etat vont vous suivre ?

En réalité, on n’a pas de propositions à leur faire. Nous allons présenter la situation et les faits. C’est à eux de nous dire ce qu’il y a lieu de faire. Nous allons leur dire que notre alimentation va dépendre de l’extérieur. Est- ce que c’est bon pour nous ? S’ils disent que c’est bien, on prend acte. Si c’est non, on verra ce qu’il y a lieu de faire. Si tout le monde dit que dans 30 ans, il n’y a plus de village et que à Ouaga , on peut gérer 8 millions de personnes et à Bobo 4 millions. On dira oui avec eux. Notre mission, c’est d’attirer l’attention des décideurs en leur rappelant qu’au rythme actuel, voilà comment les choses risquent de dégénérer.

On peut y remédier à condition que le village fixe les jeunes ruraux et leur permette d’être bien. Quand vous lisez les chiffres du Burkina, on parle de 80% de ruraux. Ces chiffres sont dépassés aujourd’hui avec l’exode rural. Et les villes, ce n’est pas Bobo et Ouaga seulement. Regardez le rôle d’aspirateur de jeunes ruraux de toutes ces villes moyennes. Si dans le milieu rural, il n’y a pas de travail qui puisse retenir les jeunes, nos villages vont disparaître. Notre rôle, c’est de montrer à nos dirigeants ce qu’on leur cache. Eux qui ont juré de travailler au bonheur de leur peuple prendront alors leurs responsabilités.

Vous n’êtes pas d’accord avec le TEC (tarif extérieur commun) de la CEDEAO, pourquoi ?

Le contenu d’un TEC obéit à des objectifs politiques clairs. Les taux sont fixés en fonction de cela. Nous, nous posons le débat, nous soulevons nos préoccupations. Aux décideurs et aux techniciens de les conformer à nos aspirations. Sinon, moi je ne sais pas comment on fait un TEC. La question que le ROPPA pose est de savoir si on a choisi d’être dépendant des bas prix aujourd’hui tout en nous battant à l’OMC contre les subventions, et si dans 30 ans, on veut voir disparaître les villages au profit des villes. Une fois ces questions posées, on peut fixer le TEC en connaissance de cause.

Le prix du kilogramme de coton a baissé au Burkina. Il est passé de 175 à 165 francs CFA avez-vous un commentaire à propos ?

Je ne suis pas producteur de coton. Mais je suis solidaire de tous les cotonculteurs dans leur combat pour la survie. On ne peut pas retenir les gens en milieu rural, si chaque fois leurs revenus baissent. Les salariés du public ou du privé subissent-ils autant de baisse sur leurs salaires ? Si ceux-ci n’augmentent pas, ils ne baissent pas. On ne peut créer un métier et l’encourager avec la baisse constante des revenus. De toutes les façons voyez les jeunes à la télévision ; ils disent que même s’ils vont tous mourir, ils vont émigrer en Europe. Imaginez une région sans jeunes. Cela doit faire réfléchir les chefs d’Etat. S’ils veulent gérer des pays sans jeunes, c’est à eux de répondre. Nous, les paysans on leur présente la problématique. Ils décideront.

Propos recueilli par Abdoulaye TAO

Author: Abdoulaye TAO