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La première souveraineté est-elle militaire ou alimentaire

by Abdoulaye TAO | 25 Jun 2006

Question du Président d’honneur du ROPPA aux chefs d’Etat

(Source : abc Burkina N° 186)

Mamadou Cissoko est le président d’honneur du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Il était de passage à Ouagadougou le 11 mai dernier, dans le cadre de la préparation d’un forum ouest - africain qui mettra face à face les paysans et décideurs, autour de l’avenir de l’agriculture originale face aux incertitudes des accords de l’OMC et des APE. Il donne ici la vision des paysans africains.

Vous êtes le président d’honneur du ROPPA, quel est l’objet de votre séjour au Burkina Faso ?

Je suis en visite au Burkina pour rencontrer la Confédération paysanne du Faso (CPF) qui est membre du ROPPA, avec laquelle nous avons rencontré les autorités du Burkina en charge de l’agriculture, de l’environnement, ainsi que celles de l’UEMOA autour de la politique agricole commune.

L’UEMOA a adopté sa politique en 2001 et en janvier 2005, la CEDEAO a adopté la sienne à Accra. Actuellement, nous avons deux politiques agricoles dans la région qui sont en train d’être mises en cohérence.

Nous producteurs, remercions les autorités de la zone UEMOA et CEDEAO de nous avoir donné une place importante dans la préparation et l’approbation de ces documents.

Mais nous constatons que ces deux politiques vont être appliquées dans un contexte difficile, marqué par les négociations APE et OMC. Nos politiques ont donc été élaborées et adoptées dans un contexte difficile, sous un mauvais signe pour ainsi dire. L’environnement n’était pas favorable parce que les deux scénarios demandaient plus d’ouverture, de compétitivité, etc.

Par principe, une politique agricole vise à amener l’ensemble des ingrédients importants et indispensables à une promotion de l’agriculture. Parmi ceux-là, il y a l’organisation d’un marché régional et sa protection.

Quel est le problème précisément ?

En janvier 2005, la politique agricole de la CEDEAO a été validée. En juillet, on ne voyait rien venir. Les organisations paysannes ont commencé à s’inquiéter. C’est ainsi que nous avons pris attache avec le président en exercice de la CEDEAO, le président du Niger, alors qu’on parlait d’une accélération de la mise en place du TEC (Tarif extérieur commun) et que la feuille de route pour la signature des accords APE (Accord de partenariat économique) ne souffrait de rien.

Sur la mobilisation des Etats afin de consacrer 10% de leur budget à l’agriculture, il n’ y a aucun signe. Du moins, ça bouge timidement. Alors, ce qui ne nous arrange pas vraiment.

Nous avons alors demandé au président, l’autorisation d’organiser un forum sur la souveraineté alimentaire. Ce forum est une occasion pour faire entendre le point de vue des agriculteurs africains sur les enjeux actuels de notre agriculture dans le contexte de la mondialisation et des accords de partenariat économique. Les débats sur les autres grands sujets c’est bien, mais nous pensons que le levier pour notre développement est l’agriculture. C’est ce que nous maîtrisons le mieux actuellement, et il ne faut pas le brader. Il y a le coton au Burkina, le café et le cacao en Côte d’ivoire, le Nigeria est le 3e producteur mondial d’arachide suivi du Sénégal. Nous avons des atouts. Pourquoi ne pas bâtir l’ensemble que nous voulons construire sur ces atouts-là ? C’est le socle de notre intégration.

C’est ce que vous avez dit au président nigérien et il est prêt à parrainer le forum ?

Oui, puisque c’est dans l’agriculture que nous sommes à peu près bien et où on peut faire mieux, et il est d’accord. Nous lui avons demandé d’inviter les autres chefs d’Etat, les ministres de l’agriculture et du commerce, ainsi que les partenaires au développement. Parce qu’on nous dit souvent que les villes sont pauvres, mais personne ne calcule le nombre de paysans qui abandonnent les champs pour venir chercher pitance en ville. Tous les jours, on voit des coupeurs de routes dans la presse et personne ne fait le lien avec les produits à bas prix qui inondent nos marchés au non de la libéralisation tous azimuts.

Cette ville dont on dit que les populations sont pauvres. Y a- t-il de l’emploi vraiment ? Il n’y a pas assez d’entreprises, ni d’usines. Les petits vendeurs dans la rue peuvent-ils avoir autant de bénéfices qui leur permettent d’acheter le kilo de riz importé à 250 francs ? J’en doute. Il faut donc faire des calculs. Ce sont les fonctionnaires et autres agents de l’Etat salariés qui font tourner nos villes. Ils sont combien en ville à pouvoir vivre décemment ?

La ville ne crée pas d’emplois mais elle continue d’attirer les paysans et surtout les jeunes qui abandonnent leurs activités. Il faut régler le problème parce que si le statu quo continue, on va droit dans le mur. Calculons le coût de cette situation pour la société. Il y a quinze ans, qui aurait imaginé des braqueurs au Burkina Faso ? Il faut appréhender l’origine du mal.

Tout le monde se bat aujourd’hui pour qu’on arrête les subventions. Si on arrête les subventions, le prix du riz importé va monter, le prix de la miche de pain va coûter 300 francs. Les prix actuels sont dus au fait que la production du blé est subventionnée.

La lutte contre les subventions sur le coton peut donc avoir des répercussions ?

Pour protéger notre coton, on lutte contre les subventions. Mais en le faisant, on lutte également contre toutes les subventions. Il faut réfléchir. Notre affaire n’est pas du tout garantie parce que les prix actuels sont de faux prix en ce qui concerne les principaux produits de consommation. Même si on opte de mettre à la disposition des populations ces produits à bas prix qui vont tuer notre agriculture que fait -on de notre souveraineté ? La première souveraineté est-t-elle militaire ou alimentaire ? Un peuple qui est capable d’assurer 80 à 90% de son alimentation, est un peuple débout qui peut négocier avec les autres. Ce n’est pas le cas dans la sous - région. De plus en plus, nous sommes dépendants de l’extérieur. Imaginons que le Burkina ne consommait que du poulet importé. Avec la grippe aviaire que se serait-il passé ? Combien de temps allait-on mettre pour développer une filière avicole nationale ?

Propos recueilli par Abdoulaye TAO

(Suite et fin )

Author: Abdoulaye TAO