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Attaque contre le privilège des agriculteurs

by GRAIN | 15 Sep 2004

Seedling, GRAIN

juillet 2003

Les droits de propriété intellectuelle appliqués aux semences donnent aux sélectionneurs ou à quiconque déclare avoir découvert ou développé une nouvelle variété végétale, un droit de monopole exclusif sur la semence. Avec la loi sur les brevets, ce droit de monopole est très puissant. De façon générale, il empêchera quiconque d'utiliser, de vendre ou de produire des semences sans la permission du détenteur du brevet. Dans un régime classique de protection des variétés végétales sui generis - un système de droit de propriété intellectuelle destiné en particulier aux variétés végétales - quelques exceptions à ce droit très puissant sont généralement prévues. L'une de ces exceptions autorise les agriculteurs à conserver, échanger, vendre ou réutiliser une partie de leur récolte comme nouveau lot de semences. La possibilité légale de réutiliser des semences protégées par un droit de propriété intellectuelle est appelée « privilège des agriculteurs ». Ce terme est extrêmement mal approprié. Conserver des semences est aussi naturel et essentiel que manger - c'est grâce à ça que nous sommes capables de produire des plantes cultivées. Sous la loi de protection des variétés végétales, cet acte tout à fait ordinaire devient un privilège, une exception légale. On accorde des droits aux sélectionneurs, alors qu'on autorise les agriculteurs à faire quelque chose en fonction de ce droit - et seulement sous certaines conditions. Si vous ne respectez pas ces conditions, vous violerez les droits des sélectionneurs, et vous aurez à en payer les conséquences économiques et juridiques.

Supprimer la concurrence

La question des privilèges des agriculteurs est un sujet brûlant car l'industrie des semences veut avoir le contrôle sur ceux qui produisent des semences - et contrôler le marché. Les ventes de semences au niveau mondial qui se montent actuellement à 30 millions de dollars devraient bientôt atteindre les 90 millions. Mais une part importante de l'alimentation mondiale repose sur les semences conservées à la ferme - jusqu'à 90% en Afrique sub-saharienne et 70% en Inde. Même dans les pays industrialisés, les agriculteurs conservent eux aussi les semences plutôt que d'en racheter, si cela les arrange, et s'ils le peuvent. Il y a là encore un marché considérable à saisir pour l'industrie.

C'est aussi un sujet brûlant parce que l'industrie des semences travaille ardûment à obtenir des systèmes légaux qui limitent la conservation des semences par les agriculteurs, que ce soit par le biais de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les accords bilatéraux de commerce ou par les gouvernements eux-mêmes. La protection des variétés végétales ou la législation des droits des sélectionneurs de plantes sont faites pour ôter aux agriculteurs le pouvoir de produire et de reproduire des semences. Et ces lois gagnent du terrain. Les gouvernements cédant aux pressions déclarent souvent : « Ne vous inquiétez pas, nous protègerons les droits des agriculteurs à tous prix ! ». Ils jurent que rien n'empêchera les agriculteurs de poursuivre leurs pratiques « traditionnelles » et « ancestrales » de conserver, échanger et continuer à développer des semences. Ils inscrivent alors ce « privilège des agriculteurs » dans leur loi. Cependant, il s'avère que le privilège des agriculteurs est un « oui, mais » légal à la conservation des semences - avec un « mais » qui prend de plus en plus d'importance chaque jour. Les pays qui, les uns après les autres, ont instauré une loi de protection des variétés végétale, ont progressivement limité de plus en plus les exceptions faites aux agriculteurs. Au point que ça n'a plus aucun sens. Pourquoi ? Parce que les sélectionneurs continuent de demander des droits de plus en plus forts. Réduire les possibilités légales permettant aux agriculteurs de conserver des semences est la manière la plus simple de donner plus de pouvoir aux sélectionneurs. Les limitations du privilège des agriculteurs dans la loi de protection des variétés végétales prennent plusieurs formes, souvent combinées entre elles :

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- Les agriculteurs ont interdiction de conserver des semences de certaines plantes cultivées;

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- Seulement certains agriculteurs (par exemple ceux qui ont une ferme d'une certaine taille ou un certain niveau de revenus) peuvent jouir de ce privilège;

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- Les agriculteurs doivent payer des redevances supplémentaires au sélectionneur pour tout semence qu'ils conservent à la ferme;

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- Les agriculteurs peuvent conserver des semences, mais non les échanger (ils peuvent seulement les cultiver sur leur propre ferme);

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- Les agriculteurs peuvent conserver et échanger des semences mais ils ne peuvent pas les vendre;

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- Les agriculteurs peuvent conserver, échanger et vendre des semences, mais seulement si ils n'utilisent pas le nom de la variété.

De plus, les gouvernements expliquent de plus en plus aux agriculteurs que, bénéficiant de ce privilège, ils doivent rendre des comptes aux sélectionneurs concernant les semences qu'ils ont conservées. Cela pour mieux imposer les limitations. Les gouvernements débattent aussi pour savoir s'il faut laisser l'industrie des semences contourner le privilège des agriculteurs à travers les contrats de vente - en d'autres termes, permettre aux compagnies d'imposer des restrictions spécifiques concernant la conservation des semences, imprimées sur les sacs, quelque soit ce que dit la loi de protection des variétés végétales. Quel est l'objectif de toute cette pression sur les agriculteurs ? « Financer la recherche ! », déclare l'industrie. Ce n'est pas tout à fait ça. C'est pour contrôler le marché, la concurrence, point final.

Un contrat injuste qui vire à la malhonnêteté

Cela semble être une parfaite injustice et s'en est une. Elle est tout à fait réelle et il est important de ne pas se laisser duper par les promesses mirobolantes de défense des droits des agriculteurs par les lois sui generis de protection des variétés végétales. L'OMC a récemment publié une mise à jour des pays où sont appliqués les accords sur les ADPIC, incluant la question du privilège des agriculteurs. Pour avoir un compte-rendu pays par pays tiré de ce rapport ainsi que de plusieurs autres sources gouvernementales, vous pouvez consulter le site de GRAIN à http://www.grain.org/briefings/?id=121 (en anglais).

Le résultat donne à réfléchir, et ce n'est pas peu dire. Pays après pays, le droit ancestral et soi-disant intouchable des agriculteurs à conserver et à réutiliser leurs semences est attaqué. Mais l'histoire ne s'arrête pas là - ce n'est que le point de départ. Les droits de propriété intellectuelle des sélectionneurs de plantes, une fois adoptés, sont toujours renforcés aux dépends des agriculteurs. C'est ainsi que les lois de protection des variétés végétales et leur imposition à quasiment tous les pays par l'intermédiaire de l'OMC servent vraiment de tremplin vers l'acceptation de brevets industriels à part entière sur toutes les formes de vie.

Author: GRAIN
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  • [1] http://www.grain.org/briefings/?id=121