https://grain.org/e/1273

DANS LE CADRE DE L'AIDE ALIMENTAIRE CONTENANT DES OGM, QUELS SONT LES ELEMENTS A CONSIDERER ?

by Tewolde Berhan Gebre Egziaber | 1 Sep 2003

Août et Septembre 2003

DANS LE CADRE DE L'AIDE ALIMENTAIRE CONTENANT DES OGM, QUELS SONT LES ELEMENTS A CONSIDERER ?

Par Tewolde Berhan Gebre Egziaber Directeur de l'Agence de Protection de l'Environnement (EPA) d'Ethiopie (Janvier 2003)

1-) Introduction

En réponse à la sécheresse touchant l'Afrique Australe, les Etats-Unis ont fait parvenir aux pays dans le besoin, une aide alimentaire à base de maïs transgénique. La Zambie a refusé cette aide par crainte de contamination de sa production agricole et de son environnement ainsi que des impacts négatifs possibles sur la santé des consommateurs. D'autres pays ont accepté ce risque, mais pas celui sur l'environnement et ont donc demandé à ce que ce maïs soit moulu en farine avant d'être importé. L'Ethiopie et l'Erythrée devraient, sous peu, connaître une sécheresse et donc, pourraient recevoir pour aide alimentaire du maïs transgénique. Aujourd'hui, quels sont les risques liés à ces OGM et quelles réponses pouvons – nous donner lors de ces envois d'aide alimentaire ?

2-) Pourquoi les risques du Génie Génétique ?

Les gènes déterminent des caractéristiques telles que la couleur des yeux, la texture des cheveux, la taille de l'homme… Certains gènes présents dans une cellule sont silencieux et ne s'expriment pas. Normalement, les gènes parentaux se mélangent lors de la reproduction sexuée, seulement au sein d'une même espèce. Moins fréquemment, des gènes d'espèces apparentées peuvent se croiser. Mais les gènes d'espèces non reliées ne se croisent jamais dans la nature. Malgré cela, par le biais du génie génétique, un ou des gènes d'une espèce peuvent être introduits dans le génome d'une espèce totalement différente, comme c'est le cas pour des gènes de la bactérie, Bacillus thuringensis, introduits dans du maïs ou encore des gènes humains introduits dans des bactéries.

Par le génie génétique, le gène à transférer nécessite d'abord d'être isolé. S'il est transféré dans une cellule tel quel, il ne s'exprimera pas, c'est-à-dire qu'il sera silencieux. Pour pallier à ce phénomène de silence du gène, la partie d'un gène connu pour provoquer son expression, appelé promoteur, est attaché au gène précédemment isolé. Mais ce promoteur, seul, peut également amorcer l'expression d'autres gènes silencieux, déjà présents dans la cellule. Il peut même renforcer l'expression d'autres gènes déjà fonctionnels. Comme solution, on attache également la partie d'un gène connu pour sa capacité à arrêter l'expression d'un gène, appelée terminateur, au gène isolé. Cette combinaison (promoteur – gène – terminateur) est appelée une cassette d'expression.

Malgré cela, les gènes ont un impact sur les fonctions d'autres gènes exprimés, même lorsqu'ils ne sont pas liés à ces derniers physiquement. Ainsi, il est envisageable que, soit le promoteur, soit le terminateur, soit les deux influent ou soient affectés par les actions d'autre gènes, exprimés ou non, et donc perturbent l'organisme génétiquement modifié d'une manière non prévue. Un gène marqueur, généralement un gène conférant une résistance à un

antibiotique, est également inséré dans la cassette. Cette expression d'une résistance à un antibiotique peut donc être transférée aux bactéries présentes dans les animaux (dont l'Homme), rendant les antibiotiques inutiles à la médecine comme médicaments.

La cassette d'expression peut donc se résumer ainsi :

Deux cassettes ou plus peuvent être reliées les unes aux autres, formant ce qui est appelée une construction. La construction est parfois introduite directement dans la cellule transformée. Généralement, cette introduction se fait via un vecteur. Ce vecteur est une bactérie, un virus ou un plasmide, responsable de maladies, qui a été désactivé. Cette désactivation est le résultat de la suppression d'une partie de l'ADN du vecteur. La construction est alors introduite dans le dit vecteur désactivé. Ensuite, le vecteur permet, en infectant la cellule, de transférer la construction dans la cellule cible. A l'intérieur même de la cellule génétiquement modifiée, la portion du vecteur retirée pour le désactiver peut recombiner avec de l'ADN de la cellule transformée ; ou bien une portion d'ADN d'un autre micro-organisme peut s'y attacher. Cela peut avoir pour conséquence de réactiver le vecteur, initialement désactivé, qui redevient alors cause de maladie.

La construction peut également être attachée à un petit gène naturellement indépendant, appelé transposon, qui agit alors comme un vecteur. Ces transposons ne cessent de passer d'une cellule à une autre, et ce, même entre deux espèces éloignées. Dans ce cas de figure, les gènes attachés aux transposons peuvent donc également passer d'une espèce à l'autre facilement.

Introduits physiquement ou par le biais d'un vecteur, les gènes de la construction deviennent des composants de la cellule et sources de caractéristiques physiologiques pour cette dernière. La résistance à un antibiotique est utilisée pour sélectionner les cellules ayant reçu et exprimant la construction, par pression sélective. Lorsque le pool de cellules utilisé est traité par l'antibiotique, les cellules n'ayant pas intégré la construction ou ne l'exprimant pas meurent. Seules les cellules effectivement transformées survivent.

Le mélange de gènes peut également être effectué par fusion de cellules. Des cellules d'organismes appartenant à des espèces différentes peuvent, sous certaines conditions, fusionner entre elles pour donner une seule cellule au patrimoine génétique mixte. Dans le cas de cellules transformées, le mélange des gènes se fait au hasard, la construction pouvant s'attacher à plusieurs endroits de l'ADN et donc, à plusieurs gènes de la cellule, indifféremment. Les gènes peuvent également se réarranger et changer de caractéristiques d'expression, caractéristiques devenant différentes de celles qu'il avait dans la construction. Cette nouvelle expression ne peut donc pas être prédite et implique donc des risques potentiels.

Les cellules transformées sont ensuite mises en culture pour se développer, dans des micro-organismes, plantes ou animaux. Ces organismes sont appelés organismes transgéniques, et le gène transféré est le transgène.

Les transgènes présents dans ces organismes transgéniques seront, qu'ils soient vivants ou morts, ingérés par une bactérie, qui pourra alors les transférer à d'autres bactéries, plantes ou animaux.

Les risques inhérents aux OGM proviennent donc de différentes causes :

a-) La combinaison de gènes mis en œuvre dans le cadre d'une construction n'a pas lieu naturellement et donc, le produit abouti du génie génétique ne peut être ni prédit, ni même totalement compris dans son fonctionnement.

b-) L'insertion d'un gène dans une cellule et son positionnement au milieu des autres gènes ne peuvent être prévus. Les effets du gène introduit seront connus seulement par leur observation, c'est-à-dire une fois qu'ils auront eu lieu.

c-) Les effets du promoteur, du terminateur et du vecteur ne sont pas prévisibles, et peuvent donc avoir des conséquences inconnues.

d-) Le gène transféré, le promoteur, le terminateur et même le vecteur peuvent se déplacer d'une espèce à l'autre, et les conséquences sont inconnues.

e-) Certains nouveaux composants biochimiques (issus de l'expression du transgène par la cellule) produits par l'OGM peuvent s'avérer toxiques, allergènes, cancérigènes, tératogènes ou dangereux pour l'Homme ou les animaux.

f-) Les espèces génétiquement modifiées ou d'autres espèces ayant acquis le transgène pourraient devenir des mauvaises herbes dans une culture ou dans un écosystème naturel.

3-) Quelle devait être la base d'une évaluation des risques ?

Les Etats-Unis d'Amérique ont développé en premier le génie génétique, et en particulier dans le domaine de l'agriculture. Les instances de régulation ont adopté une stratégie appelée « équivalence substantielle ». Cette stratégie se base sur le postulat que l'introduction d'un ou de deux gènes dans un organisme qui en contient des dizaines de milliers est mineure et donc, est une modification insignifiante dont les impacts sont tout aussi minimes. Cela les a donc amenés à considérer qu'un OGM est aussi sain qu'un organisme non-OGM. Si un changement apparaît, il ne sera observé que lors de l'utilisation de l'OGM, et agir contre ce problème lors de son émergence devrait suffire.

La stratégie inverse, appelée principe de précaution, a été adoptée dans le cadre du protocole de Cartagena sur la Biosécurité (Articles 10.6 et 11.8) et celui de la Loi cadre africaine sur la biosécurité en biotechnologie (Article 6.7 et 6.8). Le principe de précaution implique que, dans le cas où l'absence de risques n'est pas certaine, les précautions maximums soient mises en place afin qu'aucun effet nocif ne soit observé.

Lorsque les OGM ont été autorisés à être utilisés aux Etats-Unis le principe d'équivalence substantielle a été mis en avant pour les déclarer sûrs. Mais quasiment tous les autres pays, notamment l'Europe, ont opté pour le principe de précaution et rejeté le principe d'équivalence substantielle. C'est pourquoi l'Europe ne reconnaît pas l'agrément américain donné aux OGM. L'opposition entre les Etats-Unis et l'Europe vient de cette divergence d'opinion et non d'une compétition commerciale.

4-) Quels sont les risques du maïs trangénique pour la santé humaine ?

Un gène de la bactérie Bacillus thuringensis, inséré dans une construction, a été introduit dans le maïs, appelé désormais maïs Bt. Un gène conférant au maïs une résistance à l'herbicide Glyphosate, appelé également Roundup par Monsanto, a été introduit dans le maïs HT (Herbicide Tolérant). Le maïs génétiquement modifié envoyé en Afrique peut donc être HT ou Bt. Compte tenu de l'incertitude sur le type de variété de maïs donné à l'Ethiopie comme aide alimentaire, ce qui implique une ignorance sur l'herbicide auquel le maïs sera résistant s'il l'est et sur la nature des promoteurs terminateurs et vecteurs, il n'est pas possible de prévoir précisément les risques sur la santé humaine. Même dans le cas où ces variétés seraient identifiées, il sera toujours impossible de prédire comment les gènes introduits interagiront avec les gènes parentaux (ceux du maïs non encore modifié).

Nous pouvons cependant écarter tout risque de toxicité humaine en ce qui concerne ce maïs. En effet, il est consommé en masse aux Etats-Unis dans l'alimentation humaine, et s'il y avait eu des conséquences de toxicité pour l'Homme elles auraient déjà été détectées.

Mais il existe d'autres sortes de maïs transgénique utilisées aux Etats-Unis, notamment dans le cadre de l'alimentation animale, tel que le maïs Starlink. En Septembre 2000, du maïs destiné à l'alimentation humaine s'est vu contaminé par du maïs Starlink. Ce maïs fut détruit. Mais pouvons-nous être certains que le maïs qui nous sera envoyé sera exempt de maïs Starlink ou de toute autre variété de maïs OGM non autorisée dans l'alimentation humaine ?

A cause de l'utilisation du principe d'équivalence substantielle pour la certification de cultures OGM comme sûres pour l'alimentation humaine, les possibilités sur le long terme de l'accroissement des propriétés allergène, cancérigène, teratogène etc… ont été ignorées. Bien que minimes, il existe des risques à donner de la nourriture transgénique à des gens affamés. Une étude comparant la part des complications alimentaires non expliquées entre les Etats-Unis et la Suède a conclu que ces complications n'avaient pas augmenté en Suède (où la nourriture transgénique est interdite) contrairement aux Etats-Unis (où la nourriture transgénique est autorisée).

Aux Etats-Unis, le maïs transgénique constitue une petite part de l'alimentation. Si ce maïs était distribué dans le cadre d'une aide alimentaire à une population affamée, elle composerait la totalité de l'alimentation de cette population. C'est pourquoi de telles complications alimentaires s'avèreraient fatales pour les victimes de la famine. Ce maïs, consommé en grande quantité, pourrait avoir comme conséquence la baisse de la reproduction humaine, comme cela a été observé chez les cochons.

5-) Quels sont les risques pour l'agriculture éthiopienne ?

Le maïs se pollinise par le vent. Un maïs transgénique verra donc son pollen atteindre facilement un maïs non transgénique. Des rapports faisant état de telles contaminations sont nombreux. Si, dans le futur, il est établi que le transgène présent dans le maïs pose des problèmes, il sera trop tard pour cultiver à nouveau du maïs non contaminé.

Le maïs est la culture alimentaire la plus importante en Afrique Subsaharienne. De telles contaminations seraient dramatiques pour cette région. L'Afrique ne pourrait plus exporter de maïs vers l'Europe et les autres pays développés des autres continents. La part de l'exportation zambienne de maïs vers l'Europe représente aujourd'hui 400 000 000 $. Les animaux domestiques refusent de manger les tiges et feuilles de maïs Bt 11 et les cochons consommant le maïs Bt, voient leur capacité de reproduction diminuer. Même si la faim pousse les animaux domestiques à consommer des restes de maïs Bt, ils ne pourront plus se reproduire efficacement. Les animaux domestiques réduiront donc soit leur alimentation soit leur capacité de reproduction.

L'Agriculture africaine et particulièrement celle de l'Ethiopie et celle de l'Erythrée, est basée sur la combinaison d'élevage d'animaux et de cultures agricoles. L'introduction de maïs Bt portera donc un sérieux coup d'arrêt à ces pratiques. De plus, elle n'augmentera pas les rendements. Diverses études montrent même que les cultures de plantes transgéniques ont des rendements inférieurs à leur équivalent conventionnel.

6-) Quels sont les risques pour l'environnement en Afrique ?

Le maïs n'a pas de culture apparentée relativement proche en Afrique. Le risque de transfert du transgène d'une espèce à l'autre est donc insignifiant. De même, il est peu probable que, à terme, le maïs devienne une mauvaise herbe naturellement présente en Afrique. Cependant, le
maïs Bt est connu pour tuer les papillons et donc probablement les papillons de nuit. Or ces deux insectes sont d'importants pollinisateurs à distance des plantes sauvages comme des plantes cultivées. La culture de maïs Bt aurait donc des conséquences négatives sur l'environnement mais également sur l'économie.

7-) Quels sont les problèmes dus au brevet ?

Les gènes ou parties de gènes (promoteurs, terminateurs, gènes entiers) et les vecteurs introduits par le génie génétique sous forme de constructions sont tous brevetés. Lorsqu'ils contaminent des variétés non trangéniques, ils rendent ces dernières dépendantes du brevet déposé. L'article 34 de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l'OMC, considère que toute personne qui est trouvée en possession d'un bien breveté est en infraction par rapport à la loi, et est donc condamnable. En conséquence, les agriculteurs ne perdraient pas seulement leurs espèces conventionnelles mais ils deviendraient également des criminels. Un agriculteur canadien qui affirmait que son champ de colza avait été contaminé par pollinisation par des transgènes issus de plantes OGM d'une culture voisine, a été condamné à payer une amende pour violation du brevet. L'Ethiopie n'est pas membre de l'OMC, les agriculteurs éthiopiens ne peuvent donc être accusés de biopiratage à cause de la contamination de leur propre variété. Mais ils seront passibles de peine lorsque ce pays rejoindra l'OMC. Ils devront payer des amendes et devront s'acquitter financièrement du droit à l'utilisation d'un produit breveté chaque année.

8-) Que devrait être la réponse d'un pays affecté par la famine ?

Je pourrais vous faire part de mes suggestions. Mais elles anticiperaient alors toute discussion. Puisque le problème nous concerne tous, il est de notre intérêt de confronter nos opinions. Je vais donc m'abstenir de vous donner mes suggestions en espérant que cela incite tout le monde à en produire.

Traduction réalisée par Inf'OGM

Author: Tewolde Berhan Gebre Egziaber
Links in this article:
  • [1] http://www.infogm.org