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A propos des " droits de propriété intellectuelle " en Afrique francophone

by GRAIN | 24 Jan 2002

Note d'information

Janvier 2002

GRAIN

en PDF et MS Word

EDITORIAL

En Afrique, l'alimentation de la majorité des populations est assurée par l'agriculture traditionnelle de type familial, malgré les difficultés rencontrées. Dans ces conditions, les semences sont transmises de génération en génération, et échangées entre paysans, parents ou amis, ou vendus sur les marchés locaux, sans se poser des questions sur les droits de propriété. Avec l'agriculture moderne, l'on parle de droits de propriété intellectuelle. Sur le plan international, le débat relatif à ces droits est d'actualité. Mais, force est de reconnaître qu'en Afrique, l'information circule très peu, surtout dans les pays francophones. C'est pour y remédier que le Programme de GRAIN en Afrique francophone a initié la rédaction de cette note d'information " Semences de la biodiversité ". Pour faciliter sa lecture, cette note qui publiera des documents inédits en français simple, ou reprendra des publications déjà parues, se présentera en une ou deux pages au maximum.
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A propos des " droits de propriété intellectuelle " en Afrique francophone

Qu'est-ce que les Droits de Propriété Intellectuelle ?

Avec la société industrielle et la logique de profit qui le soutient, des mécanismes ont été développés pour protéger toutes les créations de l'esprit. Ainsi, lorsqu'un individu ou une firme peut justifier qu'il a créé ou inventé quelque chose de nouveau, il lui est accordé le droit de le protéger, pour autant qu'il accepte de se soumettre aux procédures prévues à cet effet. C'est dans ce cadre que des brevets assurent aux créateurs, le droit exclusif d'exploiter leur invention pendant une période déterminée. Cette période qui est généralement de 20 ans, permet aux créateurs d'en tirer suffisamment profit, généralement de l'argent, avant que l'invention en question ne tombe dans le domaine publique. Il en est ainsi de plusieurs techniques de production. C'est à cause de ces problèmes de droits de propriété intellectuelle qu'il y a quelques mois, 39 firmes pharmaceutiques fabriquant des médicaments pour soigner le SIDA, ont intenté un procès à l'Afrique du Sud. Fort heureusement, la mobilisation internationale a permis à l'Afrique du Sud de gagner la bataille.

Quelle est la situation dans le domaine de l'agriculture ?

Comme les autres continents du monde, l'Afrique a apporté sa contribution à la naissance de l'agriculture, il y a environ 12 000 ans. Pendant des années, des siècles et des millénaires, les paysans africains ont créé des plantes alimentaires en domestiquant des plantes sauvages mises à leur disposition par la Nature. Ainsi, l'on peut citer plusieurs plantes alimentaires comme l'igname, le mil, le sorgho, le palmier à huile, …..en Afrique de l'Ouest ; le café, le tef, le sorgho,…en Afrique de l'est ; le palmier dattier, le blé, l'artichaut,… en Afrique du Nord, ….Du fait de ce travail commun, les ressources génétiques sont collectives et appartiennent à tous. Sur tout le continent, l'alimentation étant basée sur l'agriculture traditionnelle de type familial, les plantes cultivées sont échangées entre parents et amis, ou vendus sur les marchés locaux.

Avec la naissance de l'agriculture moderne et surtout avec l'amélioration des plantes associée à la sélection de variétés améliorées (appelées aussi obtentions végétales) par des chercheurs, l'on a recherché des mécanismes internationaux pour protéger les obtentions végétales. C'est ainsi qu'est née l'UPOV : Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales, en 1961. Le document fondamental de l'UPOV a été révisé en 1978, puis en 1991. Les résultats des chercheurs sont exploités par de grandes sociétés commerciales appelées firmes ou multinationales.

Sur le plan international, l'Organisation Mondiale de Propriété Intellectuelle (OMPI), et l'UPOV assurent la protection des intérêts des multinationales et des obtenteurs de variétés améliorées. Depuis plusieurs années, avec les engagements pris par les Etats, dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, la protection des obtentions végétales est remise à l'ordre du jour, avec l'Accord des Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC). Dans ce contexte, l'OMPI et l'UPOV font pression sur l'Afrique pour que les pays prennent des mesures régionales et/ou nationales pour respecter les obligations de l'Organisation Mondiale du Commerce.

Ainsi, l'Organisation Africaine de Propriété Intellectuelle (OAPI)* s'est précipitée pour réviser, en 1999, son texte fondamental, l'Accord de Bangui signé en 1977. C'est alors que l'annexe 10 relative à la protection des obtentions végétales y a été incorporée…..Cet accord entre en vigueur dans quelques semaines, dans tous les pays membres de l'OAPI, sans que les populations aient été informées des enjeux de cet engagement. Il faut préciser que plusieurs pays comme le Bénin, le Burkina Faso, la République Centrafricaine, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Togo, soient les deux tiers des pays membres de l'OOAPI, avaient jusqu'en 2006 pour se conformer aux dispositions de l'OMC.

Dans ce contexte, l'OAPI en collaboration avec l'UPOV et l'OMPI protégent les intérêts des obtenteurs et des multinationales, et dans le même temps, ne protège pas les intérêts des paysans, des guérisseurs traditionnels et des communautés locales. Selon l'OAPI, les raisons de cette situation :
1) Les semences traditionnelles et les plantes médicinales ne sont pas nouvelles. Ce sont des connaissances anciennes ;
2) Leurs auteurs ne sont pas des individus ou des sociétés commerciales.

Quelles sont les conséquences de tout cela ?

D'abord la dépendance des agriculteurs, des firmes productrices de semences ou de médicaments. En effet, les populations sont obligées d'acheter des semences ou des médicaments protégés par l'OAPI ou l'UPOV ou l'OMPI. Cette situation compromet dangereusement la sécurité alimentaire et la santé en Afrique. La bataille livrée par l'Afrique du Sud aux firmes pharmaceutiques citée ci-dessus le confirme. Ensuite le pillage des ressources biologiques africaines, car les pays n'ont pas encore pris les dispositions exigées par la Convention sur la diversité biologique (Article 15) relatives à l'accès aux ressources biologiques et " l'accord préalable donné en toute connaissance de cause ".

Quelle alternative ?

Dans le respect des engagements internationaux des pays africains dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique et l'Organisation Mondiale du Commerce, le Sommet des chefs d'Etat de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) réuni en juin 1998 à Ouagadougou (Burkina Faso), a pris la décision de développer une position commune. Dès lors, la Commission Scientifique, Technique et de Recherche de l'Organisation de l'Unité Africaine a élaborer un projet sur " le développement des stratégies communes et des capacités améliorées pour la protection des ressources biologiques en Afrique ". Avec l'appui d'expert juristes, l'OUA (devenue UA) a démontré que la protection des connaissances des populations locales est possible et même indispensable. Elle a alors élaboré une " législation modèle africaine pour la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs et pour des règles d'accès aux ressources biologiques ". Mais ce document est très récent et pas vraiment connu.

Les prochains numéros vous apporteront des informations complémentaires sur l'Accord de Bangui révisé (OAPI) et sur la loi Modèle de l'OUA. Merci de donner ou de photocopier cette note d'informations pour les paysans et les organisations paysannes autour de vous.


* OAPI : quinze (15) pays francophones - Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République Centrafricaine, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo


Pour de plus amples informations, prendre contact avec :

Jeanne ZOUNDJIHEKPON, Chargée de Programme pour GRAIN, Action Internationale pour les Ressources Génétiques en Afrique Francophone

06 BP 2083 - COTONOU - BENIN, Fax 229 33 79 15, Email :

Author: GRAIN
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